De la planète Mars … à Salta
Même ces grands cactus ont l’air accueillants, on les embrasserait. Leur forêt s’intensifie à mesure que nous descendons les 2000m de dénivelé qui nous séparent de Salta. Cette route d’un peu plus de 100 km depuis San Antonio de Los Cobres nous charme tous. Elle est si belle, au milieu d’une quebrada aux couleurs si vives, qu’on croirait avoir un filtre Instagram sur le pare-brise.
Notre appréciation du trajet serait-elle biaisée par l’euphorie de retrouver, après notre excursion en territoire minéral, une atmosphère respirable, de l’humidité, et la promesse d’une vraie ville avec des vrais magasins et du vrai manger ? Possible…
Les photos de ce bout de chemin sont ici
Rembobinage….7 jours plus tôt.
Nous nous étions quittés à Antofagasta de la Sierra, “à 3 440 mètres d’altitude, entourée de montagnes qui dépassent les 5 000 et 6 000 mètres de hauteur et proche des énormes salars, principale oasis de la Puna catamarquienne” (nous dit Wikipedia), et premier arrêt notable de notre boucle dans cette région du nord-ouest argentin dont l’étrangeté des paysages n’a d’égal que la solitude de ses routes.
A Antofagasta, nous avions pu refaire le plein, réparer 2-3 bricoles (ndlr, un village argentin de plus de 50 habitants possède toujours une demi-douzaine de soudeurs-mécaniciens) et préparer la suite, à savoir une visite à la curiosité Antofolla, village de 25 âmes situé à 5 heures de pistes montagneuses d’ici. En France, Antofalla ne serait même pas classée dans les “lieux-dits”. Ici, il apparait fièrement sur la grande carte de papier que nous dévoile Pedro, le gentil et souriant “restaurateur” (c-a-d qu’il ouvre sa salle à manger contre quelques billets pendant qu’Irma, sa femme, fait la soupe) qui eut la chance de nous avoir ce soir là.





Sur la carte et un verre de bière à la main, on assimile mal les difficultés que présentera ce fin trait noir ondulant qui louvoie entre les reliefs et les courbes de niveau de cette partie de la Cordilière. Il a l’air de glisser entre les cols, mais cet itineraire s’avèrera en réalité un des pires que nous ayons empruntés jusqu’ici. Nous y faisons encore souvent allusion, présomptueusement, lors de repas entre voyageurs connoisseurs de la région, et lorsque l’envie de jouer aux vieux briscards nous vient: “haaaa nous, pendant notre trip à Antofalla… “. Tout ce qui suit se passe à au moins 3500m. Faut se le dire….
Antofalla
Sur ce chemin qui découvre des cols à 4500m et qui n’offre très vite plus aucune végétation, le moteur peine, crache, enfume tout sur son passage. Les alentours et la route sont rouges vifs. Le soleil tape fort et pourtant les faibles ruisseaux croisés restent gelés jusque tard dans la journée. L’air est sec, on respire mal, Marie ne se sent pas bien, les enfants paniquent, et moi je n’en mène pas large. Evidemment nous ne croisons aucune voiture et une avarie mécanique ici serait synonyme de nuit pas trop sympa. Si Elon cherche des conducteurs expérimentés sur sol martien, je peux faire une contribution.







A 4600m, plus de jus, fatigués, on est au col culminant. Je le termine en première et dans les hurlements de Géo, sous le regard amusé de quelques vigognes qui n’ont rien de mieux à faire que de regarder les humains souffrir ici. On s’arrête plusieurs fois pour le moteur. C’est psychologique, mais je veux voir cette aiguille de température passer sous les 150°C. Et on commence à redescendre vers ce hameau improbable…




La vue est ébouriffante. En contrebas: le salar blanc, sur son autre rive: les quelques maisons de terre ocre d’Antofalla. La montagne rouge reprend aussitôt derrière le village, et le ciel bleu azur enrobe le tout… hâte d’y serrer le frein à main et d’y desserrer les fesses.
Mais la route en lacets étroits qui nous mènera en-bas est une piste défoncée, tres abrupte, présentant de grosses pierres anguleuses à la mine narquoise. Très vite, ça pue les freins. Les enfants poussent des “Haaaaa”… Please, que ça s’arrête!
Nous arrivons à Antofalla liquéfiés. Le village parait fantôme mais on distingue des chiens ici et là, c’est bon signe. Avant tout, on se repose dans le camion 2-3 heures, que la pression redescende. Puis on sort marcher dans LA rue de ce village vide et sec. Mais qu’est-ce qu’on fait là, bon sang?











C’est à ce moment de notre réflexion qu’une dame d’un âge certain apparait, et nous propose de manger chez elle ce soir. On accepte. Plus par curiosité et éducation que par envie de déguster les spécialités locales. D’ailleurs, quand nous nous rendons chez Delvina (car c’est son nom) une heure plus tard et après avoir resserré quelques durites, je serai missionné à finir en louzedé les assiettes de soupe au lama de toute l’équipe, pour faire bonne figure…




Au petit matin du lendemain, on repart en suivant cette rive ouest du salar, vers le Sud.
Je ne peux pas me plaindre. La piste est OK. Sur le chemin, nous profitons des perspectives lunaires de l’endroit et de quelques curiosités géologiques comme les Ojos de campo, ces petites mares rondes à l’eau toxique (y a de l’arsenic) mais tellement photogéniques. Ensuite la traversée de Salar pour rejoindre l’autre coté. Et la remontée de ces satanées montagnes pour rejoindre Antofogasta. Dur-dur. je ne vous refais pas le topo. Dans les vibrations de la piste, je re-casse des durites, nous perdons un phare.. Vivement ce soir…












A ce moment de l’histoire, l’idée de piste, même d’un caillou, nous donne la nausée. On veut de la ville, de la vraie, qui sent la frite et fait du bruit! On s’imagine à Salta, se faisant masser et sirotant un cocktail les pieds barbotant dans une piscine…







C’est dans ces rêveries (qui s’avéreront illusoires) que nous quittons le lendemain Antofagasta, le coeur finalement léger, disposés à endurer 2 jours de piste “gentille” (mais piste quand même) pour enfin retrouver la civilisation. Ce sera du gâteau.
GalèreS à Pocito
Sur le chemin de ce premier jour de piste synonyme de renaissance, la visite d’une mine abandonnée en pleine montagne et bordée par son cimetière de mineurs, nous fournit sa dose de vertige et d’aventure. Quelques minutes plus tard, nous croisons un autre salar, bien plus petit que celui d’Antofalla mais d’un bleu caraïbéen. Finalement, la route serait-y pas belle? On se serait-y pas monté le bourrichon pour rien? Qu’on se dit…















Héhé…
Ce sera en fait sur la longue piste sablonneuse qui nous mène à Pocito que nous roulerons, à 70km/h, sur une pièce de métal laissée là par un *ù#@& de collègue routier et malencontreusement enfouie dans le sable. Le choc est inévitable, le bruit est fort: notre pneu arrière droit éclate dans un BAAANG douloureux.




Je vous fais grâce des détails de la divertissante séance de changement de pneu dans le sable. Je rappèlerais juste que notre petit GEO fait près de 11 tonnes, que le sable, c’est mou et que le cric préfère aller vers le bas que soulever le bouzin, que la nuit tombe, que le vent nous en veut, et que les enfants sont crevés, comme nous, et nous le font savoir… Toujours le sens du timing, ceux-là.
Sentants bon la sueur, et tremblants d’épuisement, on repart après une bonne heure d’effort. La nuit tombe maintenant mais Pocito n’est qu’à 40 km, il ne peut plus rien nous arri….”BLBLBLBLBLBLBL” : nous perdons un troncon de notre collecteur d’échappement !!! Le bruit de crécelle est assourdissant. Là, nous n’avons plus les mots. On se dit qu’on paye pour un crime commis dans une autre vie. La tension dans la cabine est palpable. Le premier qui parle a perdu.
On arrive de nuit à Salar de Pocito… qui s’avère n’être qu’une crasseuse rangée de baraquements bordant une usine d’extraction de gaz perdue dans ce desert d’altitude. On s’y gare avec résignation aux cotés d’énormes camions qui ronronneront toute la nuit. Seul un dessin animé, des medialunas et un chocolat chaud nous rendront à tous le réconfort nécessaire pour pouvoir s’endormir. On verra la suite demain




Toute la matinée suivante sera dédié à la réparation de fortune de cet échappement. David, le pauvre bougre qui tient la gomeria (atelier de pneus en tous genres) du coin se joint à moi pour dégoter du tuyau, scier de la tole, souder un peu de ceci, marteler un peu de cela… L’échappement est sauvé. Pour 1500 pesos (7 euros) ! Je lui en donnerai le double (c’est son anniversaire).
vers Salta
Ce n’est plus de la piste mais véritablement de la tôle ondulée qui nous secoue toute la journée. Ca vibre de partout et nous comptons les kilomètres jusqu’a San Antonio de Los Cobres, ville hôte du touristique “tren de las nubes” (plus haut train du monde) et fin tant attendue de ce “camino de ripio” de malheur. C’est long. Très loooong. Et ca tourne, ca tourne, ca monte, ca descend…
En fin d’après-midi, nous débouchons enfin dans la ville. Le bitume est le plus beau que j’aie jamais vu (enfin c’est ce que je pense de tout coeur à ce moment là), j’en écrase une larme, les enfants chantent à tue-tête, Marie relâche ses fessiers. On se regarde. Pas besoin de mot…. Quelles émotions ce voyage en camion!







Bon, sinon, la ville est moche. Très. Mais notre envie de lâcher GEO le temps du circuit du tren de las Nubes nous fait rester la nuit, garé dans une rue qui contient un kiosko (épicerie fourre-tout). Du coup, pour se récompenser de cette route éreintante, ce soir: énorme repas de chips-tomates-avocats all-you-can-eat devant un épisode de Top Chef téléchargé à Mendoza. Parce qu’on le vaut bien. Ré-gre-ssif! Sur la route et loin de tout, le bonheur ne tient pas à grand chose…
Le lendemain, on trouve in extremis des tickets pour le fameux train des nuages. Ils sont hors de prix et on se demande comment les argentins peuvent se payer un tel luxe inutile (car il faut le souligner, ce train ne va nul part, il revient sur ses pas après une heure de trajet). On en prend tout de même plein les mirettes et repartons l’apres-midi même à bord de notre fidèle destrier, sur un ruban d’asphalte si lisse (sluuuurp, miam miam) et le coeur leger vers Salta, accomplir nos rêves de cocktail et de piscine, vous vous souvenez?





Fast forward
Et nous revoilà sur notre route cactusée du début de ce texte et qui nous mène à Salta. Vous comprenez alors mieux notre allégresse à glisser sur le bitume, à voir poindre des nuages gorgés d’eau, à contempler les herbes hautes onduler… l’Argentine que nous avons découverte dans cette Puna fut inconcevable, surprenante. Mais nous y avons laissé pas mal de plumes mécaniques. J’imagine qu’elle devait se mériter. Elle nous a donné à voir des paysages dignes d’un voyage interstellaire, tantôt blancs, tantôt rouges, tantôt gris, des pentes a 20%, des dénivelés à faire pâlir un sherpa.. Bizarrement, elle nous manquera.
Mais tout ceci est derrière nous et nous mettons le cap vers notre destinée. Et pour l’heure, nous abordons Salta la linda, où nous prendrons du bon temps, c’est sûr !





Mais ça, c’est une autre histoire…
Stay tuned !
Les photos de ce bout de chemin sont ici
Et où sommes nous la maintenant tout de suite? Les curieux peuvent cliquer ici