de Chilecito à Antofagasta

Bon, allez, on se l’avoue, nous avions carrément sous-exploité notre pause à Mendoza. Nous nous voyions déjà en famille sur nos biclous, pédalant entre les vignobles, les papilles baignant dans du Malbec… Et on a surtout fait du garage et de la ville. Au moment de partir, on se dit qu’au moins, on va se faire plaisir aux thermes de Cacheuta, prendre des forces avant de nous perdre sciemment dans la Puna argentine, cet altiplano mineral et si sec, mais qui offre des paysages à couper le souffle.

Les photos de ce bout de chemin sont ici

On peut pas être toujours à 100%

Il y a 12 ans, Marie et moi avions posé nos sacs de routards dans un charmant et luxueux hôtel de la ville thermale de Cacheuta, à à-peine une heure de camion de Mendoza. Et comme l’établissement existe encore, c’est tout naturellement qu’on s’y présente en fin de matinée avec le sourire en coin que confère la connivence des habitués.

c’est là que ça commence…

Sauf que l’accueil est glacial ! Malgré l’évocation de nos doux souvenirs, la voix pleine de tremolos, auprès de la réceptionniste, on nous fait clairement comprendre que le roi ici, c’est le silence, pas le client, et que nos rejetons mettent cette promesse en péril. Il n’y a pas de chambre libre aujourd’hui, de toute façon, il est impossible de rajouter un lit dans la chambre familiale, il n’y a pas d’accès aux piscines pour les enfants,…. OK, on a compris, nous irons avec la plèbe dans les thermes municipaux à 500m de là. Et ce n’est pas plus mal. Ces derniers sont blindés mais immenses, et nos enfants n’y sont presque pas les plus bruyants. No shame.

En fin de journée et 2 heures de cuisson plus tard, on sort totalement bouillis de ce temple de la vapeur, et radicalement dénués d’envie de conduire. La nuit sera alors paisible sur le parking maintenant vide.

Ho la belle route

Les jours qui suivent s’attèlent à rattraper le retard routier. Pas grand chose d’exceptionnel à vous mettre sous la dent, chers lecteurs, rien que la banale routine des familles voyageant en poids lourd au milieu de l’Amérique du Sud : un arrêt nocturne anodin dans un parador (=arrêt routier) digne du far-west et perdu au nord de San Juan, une banale journée sinueuse dans les quebradas rouge vif et brulées par le soleil, piquetées de cactus, et un picnic suspendu au dessus d’un canyon… la routine, quoi.

Il faudra tout de même s’arrêter un peu plus dans le prochain bourg, histoire de s’équiper pour notre prochaine boucle dans la Puna, cet altiplano lunaire et désertique du nord-ouest argentin. Notre cible: les vendeurs de bidons, nos pauvres 140 litres de gasoil d’autonomie – soit 500km si la route est plate – (spoiler: elle ne l’est pas du tout du tout) ne nous permettant pas d’amorcer ce circuit sereinement. Et puis j’ai un petit mal de gorge que je sens poindre, j’en profiterai pour acheter des pastilles.

C’est le patelin de Villa Union qui nous verra faire ces emplettes… et qui nous offrira généreusement, au moment de partir, une splendide branche d’arbre sur le chemin. Branche à 3m54 de haut, ce qui, si vous connaissez les mensurations de GEO, demeure 30 bons centimètres trop bas.

CRAAAAÂÂÂÂC

Alors voilà, le choc fut rude. L’inattention du conducteur blasé. Le coin avant droit de la cellule a sérieusement morflé. Le montant vertical de la capucine est défoncé, la paroi d’alu est gondolée, et on voit dehors à partir de notre lit. Sympa. Nous sommes dépités et ca rajoute séance tenante un arrêt inutile sur la route pour réparer ca…. Mais qui pourrait réparer ce genre de dégâts et comment? Halala… On n’oublie pas qu’on est en Argentine, le pays de la débrouille, et on reprend la route avec un brun d’espoir.

Chilecito, la ville digne de ce nom sur notre trajet est à 2-3 heures de route. Si on peut faire quelque chose, ce sera là.

Hop, on roule, on roule… mais le mal de gorge et de tête s’intensifie à vue de nez. Je ne profite pas du tout de cette route incroyablement belle, serpentant entre des parois rouges hérissées de cactus d’un vert pomme vif. Au point que je n’en peux plus, mes yeux semblent fondre, mon nez et mes oreilles se bouchent, la fièvre est intense… Jules a passé un épisode similaire il y a quelques jours et je comprends maintenant sa douleur, tiot pépére… On s’arrête quasi en urgence sur un mirador (=parking de bord de route offrant généralement une vue à couper le souffle) et je m’écrase dans le lit tandis que Marie s’occupe de tout.

Nuit de fièvre, frissons, suées… Au réveil, nous décidons de faire fissa les 40 km qui nous séparent de Chilecito pour trouver un endroit plus cosy pour agoniser en paix.

Chilecito

Les derniers kilomètres d’approche sont une véritable torture pour moi. La sphère ORL congestionnée comme la section porte de la Chappelle – porte d’Aubervilliers du périph’ un vendredi 18h. Intenable. Et lors de notre passage du poste de police qui détermine l’entrée de la ville, j’ai la bonne idée de demander au policier s’il connaît un soudeur (car rappelez-vous une branche d’une agressivité sans nom à sauté la gorge du camion à l’étape précédente) Je voulais juste un oui ou un non, moi. Il y en a, où il y en a pas, de soudeur. Mais le policier, pris d’une envie de zèle, met son casque, nous fait signe de le suivre en ville et nous amène à un atelier.

Bouh que c’est triste cette banlieue de Chilecito. Tout n’est que poussière. Les rues sont très peu arborées et les rues de terre sont remplies d’ateliers le soudure, de mécanique, de tôlerie. A l’atelier désigné, je souffre à expliquer ce que nous cherchons. Je veux juste me coucher pendant 24 heures et dormir.

Manque de bol, l’atelier en question qui sent bon l’huile de vidange et la tôle fraichement soudée nous indique qu’il ne peut rien faire et appelle à son tour d’autres travailleurs de l’extrême afin qu’ils viennent donner leur avis.

Nous attendons encore un peu et arrivent Sergio et son frère, des bons bougres au faciès andin, presque bolivien, et au sourire réconfortant. Ils nous disent qu’ils peuvent nous aider et nous escortent jusqu’à leur jardin-atelier. Je m’y gare, et nous filons en ville, vite, prendre possession d’un appartement dans lequel on pourra végéter, pour 1-2 nuits pensons nous naïvement.

En réalité, nous laisserons là le camion 5 jours. Je ferai un aller-retour quotidien à l’atelier pour qu’ils retapent la cellule qui a quand même salement morflé, et le réservoir que je leurs donne à réparer une nouvelle fois, car il re-suinte discrètement, et les cocos m’ont l’air vraiment bien.

Ils sont adorables en fait. Ils travaillent beaucoup pour une somme que je n’ose même pas vous dévoiler ici (ok, 90 € les 4 jours de travail, sur et sous le camion, à deux).

Nous passons donc presqu’une semaine ici. Les premières 24 heures demeurent pour moi un brouillard. Je frissonne non stop. Et Marie prendra le relais quand moi je pourrais enfin me lever. Quelle synchro… Pour elle, ce sera 2 jours clouée au lit sans rien manger.

Seuls les enfants tirent partie de la situation: de 1, ils se sont vite retapés, eux (car ils y sont tous passés aussi) et 2, il y avait les internets ici, et donc Netflix! Nous avons passé 4 jours à regarder des dessins animés, des vidéos de Nozman… Régressif, ou « comment allier l’utile à l’agréable ». On ira aussi tous chez le coiffeur du coin où les coupes + café + gateaux + manucure à Elisa nous vaudra 5 euros… Franck Provost, t’as rien à dire là?? hein?

A noter tout de même que Marie a pris cher. Grosse déshydratation avec plusieurs visites au docteur du coin, une volubile médecin si attachante venant de Sao Paulo et qui bourre Marie de … Gatorade pomme! et piqures d’on ne sait quoi. Le verdict de notre passage à vide familial: La grippe A, qui sévit en ce moment à Mendoza.

Retour à la normale

En fin de semaine nous nous sentons mieux. Pas à 100 %, je dirais 85 %. Mais nous pouvons partir. Nous ne ferons pas de folie les premiers jours, juste une visite sur les hauteurs de Chilecito pour visiter une des stations du « ferrocarril« , la ligne aérienne de wagons miniers qui reliaient il y a quelques décennies la mine de la montagne au loin , à plus de 5000m d’altitude, aux abords de la ville, et qui fait aujourd’hui la fierté de la région.

Sur notre itinéraire qui nous amène à Antofagasta, de la Sierra, genre de capitale de la Puna argentine (du calme, on parle d’un village de 700 âmes, les amis), se trouvent Belen (un plein d’essence, des courses, et une nuit) et Villa Vil, un pueblito doté nous-a-t-on-dit de piscines thermales en construction mais que l’on peut investir à la nuit tombée (le chantier étant assez éloigné du village). Sauf que le chantier, jadis en pause pour cause de COVID, a depuis repris et les piscines sont vidées. Trop tard, on a fait de la route et de la piste un peu dégueue pour y parvenir, alors on reste là ce soir et on se fait un bain thermal… dans un bidon Total! On n’est pas regardant. Et puis les prochains jours seront rudes, alors on prend le confort où il est pour le moment.

Que le spectacle commence !

En sortant de Villa Vil, ça monte. Sérieusement et longtemps. Il n’y a plus trop âme qui vive sur cette route de caillasse et GEO crache noir, s’essouffle, et nous aussi. La végétation a complètement disparu. Nous sommes désormais au dessus de 3500 m, et on y restera un bon bout de temps. A l’heure où je vous écris, soit près de 2 mois plus tard, nous y sommes encore, et toujours essoufflés au réveil.

Premier arrêt : Laguna Blanca. le premier village d’une longue liste qui nous fera dire « mais pourquoi un jour quelqu’un a t-il décidé d’installer sa maison ici? ». On y rencontre Pato et Pepi, deux chiliennes faisant des reportages sur les femmes d’altitude, et toutes étonnées de voir une famille dans ce coin improbable.

Le lendemain: village d’El Penon, mêmes réflexions: « mais pourquoi?! »

Nous faisons ces kilomètres les yeux rivés sur la jauge de température, relevant le pied quand on touche les 150°C, ce qui est quasi permanent, s’arrêtant même à plusieurs reprises tant l’odeur et la chaleur du moteur sont fortes (les durites d’air en plastique fondent. Véridique). Si on casse quelque chose ici, on est mal. Très mal.

Les paysages se suivent et ne se ressemblent pas. Couleurs et formes invraisemblables après chaque passage de col… Les panoramas ne partagent que leur nature minérale et sèche digne d’une autre planète, et l’omniprésence d’un horizon montagneux aussi lointain qu’inaccessible, sans doute fait de monts entre 5000 et 6000m. Vertige. La route est d’une rare esthétique mais aussi un rien angoissante.

Après la surréaliste visite du site de Piedra Pomez, champ de formations minérales blanches d’origine volcanique et qui impose un bon bout de piste et de sable, nous atteignons enfin Antofagasta de la Sierra, qui prend pour nous des allures de mégalopole avec ses hospedajes (auberges) pour touristes en mal de sensations fortes.

C’est là qu’on constatera les dégâts du jour: le camion a fendu son collecteur d’échappement et a initié une fuite d’huile d’origine inconnue. Mais franchement, on est trop crevé et on verra ça demain. Pour l’heure, il s’agit de se reposer, reprendre notre souffle. Achat de médialunas, tournée de chocolat chaud et dodo.

Demain, nous nous attèlerons à réparer tout ca et préparer la boucle vers le village d’Antofalla (20 habitants), 2 jours de piste et de solitude qui nous donneront à éprouver les limites du tourisme de cette région du globe hors du commun … Mais ca, c’est une autre histoire.

Stay tuned !

Les photos de ce bout de chemin sont ici

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